Le siècle du jasmin

   01 janvier 2000. Alors que nous célébrions l'avènement du nouveau siècle, je n'ai pas pu m'empêcher de penser au Père Villeboeuf, le curé de mon enfance.

   Je me souviens très bien de la cure installée au bout du village. A l'étage, l'appartement de notre brave curé était à lui seul une véritable bibliothèque. Les livres étaient entassés dans tout ce qui pouvait leur laisser encore un peu de place. Pour passer de la cuisine au minuscule salon, il lui fallait contourner les piles de livres à même le sol. Le reste de l'étage était il me semble un grenier, à moins que ce ne soit une autre pièce à livres ? En dessous, toute la longueur du bâtiment avait été aménagée en trois petites salles. Avec leurs tableaux noirs au mur, leurs odeurs mêlées de senteurs de craie, de poussière, de vieux bois ; sans oublier le poêle ; on n'aurait presque pas été surpris de nous voir arriver en blouse et en galoche pour le catéchisme.

   Avec le Père Villeboeuf, la religion n'avait rien de rébarbatif. Il nous expliquait la parole de Dieu, Marie, Jésus et les apôtres à travers des exemples de la vie de tous les jours. Avec lui, tout était simple et limpide. Mais combien de fois ne nous a t-il dit :

 - Ah ! Mes chers enfants ! Vous rendez vous compte ! Vous aurez quoi ... trente, trente deux ans en l'an 2000.

Et d'ajouter un peu rêveur :

- Vous rendez vous compte... tous les changements que vous allez vivre... toutes les nouvelles choses que vous allez connaître... J'aurais quand même bien aimé voir ça avec vous !

- Vous croyez que nous aurons des soucoupes volantes ? lui a demandé, un jour, l'un d'entre nous.

   Je ne sais plus ce que le Père Villeboeuf lui a répondu, mais je suis sûre que derrière son large sourire il n'a pas bridé notre imagination.

   Sans que nous ayons eu à hurler à la lune pour que le temps passe plus vite, l'an 2000 est venu, superbe d'espérances. Le Père Villeboeuf avait raison. Nous avons vécu de véritables révolutions industrielles et technologiques. La connaissance s'est invitée à la portée de tous. Jamais les peuples n'avaient pensé pouvoir autant se connaître, se rapprocher et comprendre à quel point le savoir sans partage est aussi ruine de l'âme.

   A tant se connaître, nos différences culturelles au lieu de nous enrichir, ont malheureusement aussi attisé les anciennes haines. Le terrorisme nous a tous frappé de plein fouet. Le 11 septembre 2001, l'enfer était sur terre. L'humanité déjà si souvent meurtrie par le passé, a mis un genou à terre ce jour là... peut-être aussi pour prier pour notre salut. La vision des tours jumelles du Wall Trade Center restera à jamais gravée dans nos mémoires. Ce ne sont pas seulement les tours qui sont tombées mais, sans que nous l'ayons compris sur le moment, l'idée surréaliste qu'une nation puisse être supérieure et invulnérable. Le rêve américain s'est écroulé et il nous a bien fallu voir que le destin de l'Homme est fragile.

   Ce n'est pas un courant de pensée qui se cache derrière ce terrorisme là, mais bien l'expression d'une minorité intégriste comme le salafisme, celui là même qui méprise l'islam populaire qui lui en revanche est en pleine mutation. C'est ainsi que l'on peut voir en ce moment, la jeunesse des pays du Magrhreb et du Proche-Orient se soulever, à travers ce que les médias appellent la révolution du jasmin, parce qu'elle a débuté en Tunisie. Il n'y a que les dictateurs pour ne pas avoir envisagé que leurs peuples pourraient eux-aussi communiquer avec l'extérieur et par conséquent vouloir s'exprimer. Un peuple éveillé voudra toujours vivre dans un monde juste où il pourra faire ses choix et être -acteur- de son avenir.

   Après la Tunisie et l'Egypte, c'est sur l'Algérie, le Maroc, le Soudan, la Jordanie, le Yémen et l'Iran que souffle un vent de liberté et de démocratie. Si la révolution a abouti ou est plus ou moins "contenue" dans ces pays là, elle est extrêmement sanglante en Libye. Une fois de plus l'horreur et l'indignation se sont invités dans les reportages et les témoignages que nous lisons. Alors que le colonel Mouammar Kadhafi affirme être le "Guide de la révolution" il est capable d'écraser sous sa botte son propre peuple, ne supportant pas que celui-ci puisse se soulever comme il l'a fait et promet une véritable boucherie aux insurgés, sans épargner les civils pour autant.

   On dirait qu'un vent venu lui aussi d'Afrique, souffle sur nos dirigeants, de tous horizons, tant ils semblent englués dans leurs sempiternelles palabres. Il faut dire qu'il est bien difficile aujourd'hui de renier l'ami d'hier. Il n'est pas si loin le temps où le colonel Kadhafi était reçu en grandes pompes et où l'on déroulait le tapis rouge pour lui. On dit que le ridicule ne tue pas, mais pour un homme ayant autant de sang sur les mains... On a fait des nos banques presque ses salons privés, tant la manne financière était alléchante. Alors comment peut-on envisager la liberté d'un peuple quand les profits et l'or noir ont fait perdre à nos dirigeants la notion des réalités et des urgences. Que faire aujourd'hui, face à un homme dont la folie meurtrière est indescriptible et imprévisible.

   Deux pays sont farouchement opposés à une aide au peuple libyen. La Russie, qui déclare sans scrupule, qu'elle craint que son économie ne soit en danger si elle ne peut plus vendre d'armes à la Libye. Je vais peut-être vous paraître un peu familière : mais là j'ai la nausée ! La Chine ne peut effectivement que soutenir le colonel Kadhafi puisqu'elle applique, elle aussi, un régime de dictature, de censure et de non-respect des droits de l'homme. A noter que ce sont là les gouvernements et eux seuls qui s'expriment et qu'en Chine, premier exportateur de jasmin, la jeunesse aussi est en éveil.

   Pendant que les uns palabrent, que les autres s'inquiètent, le peuple libyen est en souffrance, ne voyant rien venir qui puisse lui redonner un peu d'espoir et pour qui le combat pour la liberté semble perdu. Mais voilà qu'un coup de tonnerre vient de retentir. L'ONU a voté cette nuit la résolution tant attendue, permettant de contrer le colonel Kadhafi et de protéger la population libyenne. On peut être "soulagé" (?) de cet engagement. Mais celui-ci n'arrive t-il pas trop tard puisque la veille du vote, les troupes pro-Kadhafi n'étaient qu'à une centaine de kilomètre de Benghazi, dernier bastion des insurgés. Nos dirigeants iront-ils jusqu'au bout des espoirs qu'ils viennent d'insuffler ? Une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye a été décidée, mais comment est-ce que la population sera protégée sur ses terres ? Toute intervention se devra d'être une mesure de protection et certainement pas une déclaration de guerre. Et là il faut bien reconnaître que la tâche est extrêmement compliquée et périlleuse pour les intervenants.

 

    Parce qu'il est parfois bon de rêver face à certaines réalités, j'ai imaginé que le Père Villeboeuf me demandait d'une toute petite voix venue de là-haut :

- Dis-moi, ma chère enfant... alors comment ça se passe vraiment en bas ?

   Je serais heureuse de lui répondre que l'an 2000 a une douce senteur de jasmin quand il parle de liberté, d'espoir et de solidarité, mais je serais gênée de lui dire que tant d'injustice, de violence et de sang coulent encore sur nos terres.

 

 

MLD

Déposé le 18 mars 2011

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 Une fois n'est pas coutume (suite)

 

  Bien qu'il soit coutumier à l'Histoire d'être un éternel recommencement, surtout et maheureusement dans ce qu'elle a de moins glorieux, force est de constater qu'à mêmes maux l'Homme n'utilise pas toujours les mêmes remèdes, suivant qu'il ait à défendre tel intérêt ou tel autre.

  Le peuple libyen a connu, pour ainsi dire, le dénouement qu'on pouvait lui espérer. Les forces de la Coalition (Etats-Unis, France et Grande Bretagne) ayant détruit l'arsenal militaire de Mouammar Kadhafi, Tripoli est tombée aux mains des insurgés le 17 août 2011.

  Le 20 octobre, ce fut le tour de Syrte, ville natale de Mouammar Kadhafi ; là où ce dernier ainsi qu'une partie de sa famille avaient trouvé refuge. Le colonel Kadhafi fut capturé et abattu sur place, mettant un terme à 42 ans de règne et de dictature sur la Libye.

  Février 2012 : Pendant que la Libye fête l'anniversaire du début de sa révolution victorieuse, la Syrie, elle, connait un sort moins heureux. La Chine et la Russie ayant une nouvelle fois opposé leur véto à toute intervention, et malgrès de vives critiques dans le monde, aucune action ne sera tentée en faveur du peuple syrien. Et pourtant... L'ONU compte à ce jour plus de 7 500 victimes en Syrie (apparemment plus qu'en Libye.)

  En quoi y a t-il une différence entre Mouammar Kadhafi et Bachar al Assan ? Le Président syrien peut se vanter, lui aussi, d'avoir été reçu avec les honneurs en France en 2008... Et lui aussi écrase son peuple, noyant dans le sang ses espoirs de démocratie et de respect des droits de l'homme.

  Je me demande si, contrairement à Bachard al Assan, Mouammar Kadhafi n'était pas l'homme à abattre parce qu'il représentait le spectre d'une vérité ou d'intérets compromettants. Encore fut-il que celui-ci ait accepté de participer à un procès... Sinon comment expliquer tant de moyens déployés contre l'un et tant d'immobilisme face à l'autre ? Enfin, ceci n'engage que moi... Et sans cette parenthèse supplémentaire, il m'aurait paru inéquitable d'avoir parlé de la Libye mais pas de la Syrie...

 

 (...) Quand j'entends le vent qui souffle sur la terre,

Je pense à ceux qui ont arraché de leurs mains

Le germe des barbares qui au long des guerres,

Ont arraché le sang de leurs frères humains. (...)

 

("Liberté" de Pierre-Jean BARANGER – extrait du recueil Braises et Lumières)

 

MLD

Déposé le 18 mars 2012

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Commentaires

  • maliedelay

    1 maliedelay Le mardi, 29 mars 2011

    Merci Pierre-Jean, votre regard a une grande importance pour moi.

    (...)... maintenant que l'oisillon est recouvert de plumes il commence à déployer ses ailes !!!!

    A Bientôt
    Avec toute mon amitié

    Malie
  • pierre-jean Baranger

    2 pierre-jean Baranger Le mardi, 29 mars 2011

    Bon sang ! Alors là, je cautionne complètement ! Bravo Malie pour avoir aussi bien su dire les choses. Je vous remercie.
    Je prendrai le temps prochainement de vous raconter mes derniers potins. En attendant, je vous souhaite une excellente journée. Je suis heureux de voir vos ailes se déployer ainsi.

    Toutes mes amitiés pour vous

    Pierre-Jean

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